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19 avril 2009 7 19 /04 /avril /2009 23:14
Mayotte

Source: RFO Mayotte

Parution aux Editions l’Harmattan de l’ouvrage de l’ancien préfet de Mayotte Philippe Boisadam : ’Mais que faire de Mayotte ?’. Rencontre avec un ami de l’île.


 

Secretaire général de la représentation du gouvernement français  à Mayotte (entre 1976 et 1978), juste après l’indépendance des Comores (6 juillet 1975), Philippe Boisadam est revenu à Mayotte, entre 1996 et 1998, comme représentant du gouvernement au poste de préfet. L’ouvrage « Mais que faire de Mayotte ? » de Philippe Boisadam analyse la question de l’île comorienne de Mayotte de 1841 à 2000.

 Couverture de l’ouvrage de Philippe Boisadam : « Mais que faire de Mayotte ? », publié, en avril 2009, aux Editions l’Harmattan © DR


Comment avez-vous vécu le référendum sur la départementalisation de Mayotte ?

Philippe Boisadam : Comme quelqu’un qui en entend parler depuis 1976, date à laquelle j’ai découvert Mayotte comme secrétaire général de la Préfecture de Mayotte.
La France, à partir du moment où elle avait choisi, pour les raisons que j’essaie d’expliquer dans mon livre, que les réponses au scrutin pour ou contre l’indépendance des Comores serait, en 1974, décompté île par île, devait s’attendre à ce que les Mahorais réclament la départementalisation. Une consultation avait été promise par la France dès 1976. Elle fut incessamment repoussée par les gouvernements français successifs de gauche comme de droite qui ont été incapables de répondre à la question « Mais que faire de Mayotte ? ». Du reste cette question s’est posée très tôt après l’achat de Mayotte par la Monarchie de Juillet en 1841. Donc sauf à prendre une décision unilatérale, la France ne pouvait pas, un jour ou l’autre ne pas organiser ce référendum.

Que pensez-vous du choix des Mahorais ?

Philippe Boisadam : Peut-on parler de « choix » puisque seule l’option départementaliste était en jeu ? Je pense que les Mahorais, dans le contexte actuel, ne pouvait que choisir la départementalisation mais je reste persuadé qu’ils n’ont pas appréhendé les conséquences réelles que celle-ci entraînerait à un moment où, par ailleurs, comme aux Antilles et même à la Réunion, le statut de département prête à de multiples interrogations. C’est pourquoi je suis inquiet pour l’avenir.

Votre ouvrage revient en termes d’analyse sur la question de l’île comorienne de Mayotte, de 1841 à 2000. Pourquoi vous êtes-vous arrêté en l’an 2000 et pour quelle raison votre maison d’édition ne l’a-t-elle pas publié avant le référendum ?

Philippe Boisadam : Ce n’est pas de la responsabilité de l’éditeur. Il s’agit de mon choix personnel. Tout d’abord pour des raisons très pratiques. Ce livre fait plus de 500 pages. Etudier en plus la période de 2000 à 2009 aurait lourdement allongé l’ouvrage. Cette période fera sans doute l’objet d’un autre livre.


Je n’ai pas voulu que ce livre soit publié avant le référendum pour que je ne sois pas accusé d’avoir voulu influencer – si tant est que je le puisse – le choix des Mahorais.
J’ai voulu en prenant comme point de départ l’année 1841, la date à laquelle la France a acheté à Adriantsouli l’île de Mayotte, montrer qu’en définitive « l’affaire de Mayotte », pour reprendre une expression fréquemment utilisée, le représentant de la France à l’ONU disant même, en 1975, qu’il s’agissait d’une « affaire aussi dérisoire », s’est posée dès le début de la présence française dans l’île. Les Français se sont, en effet, posé très tôt la question de savoir ce qu’ils allaient faire de Mayotte surtout lorsque l’ouverture du canal de Suez a fait perdre à Mayotte son intérêt de position stratégique dans le canal de Mozambique. 


J’ai voulu aussi rétablir certaines vérités comme, par exemple, ce que j’appelle « le mythe d’une francophilie spontanée des Mahorais » en 1841 alors qu’il s’agissait de la part d’Adriantsouli, qui fut un sultan peu digne de respect, ivrogne et velléitaire, que de préserver ses intérêts personnels et pour la France que de compenser la perte de l’île Maurice, après la période napoléonienne. 


J’ai souhaité aussi analyser les responsabilités respectives des français et des Comoriens dans la gestion de ce dossier mahorais : les atermoiements des gouvernements français, les mesquineries des gouvernements comoriens, leurs maladresses, comme la déclaration unilatérale d’indépendance d’Ahmed Abdallah, les mesquineries de Saïd Mohamed Cheikh, la brutalité d’Ali Soilihi. Ni les Français ni les Comoriens n’ont voulu connaître les « états d’âme » mahorais suffisamment à temps pour y répondre raisonnablement. Le transfert de la capitale du territoire des Comores, en 1958, a précipité et renforcé ce qui deviendra l’irrédentisme mahorais. Les coups d’État ou tentatives de coups d’État aux Comores (plus d’une vingtaine), pour certains avec l’aide de la France (Bob Denard) n’ont fait que renforcer les positions mahoraises.

Pourquoi la France tient-elle tant à Mayotte ?

Philippe Boisadam : Je crois que depuis l’indépendance des Comores (1974) et même quelques années avant, la France, dans l’affaire mahoraise, a plus subi qu’agi.
Je ne pense pas que l’on puisse dire que la France « tient tant à Mayotte ». Il faut bien voir qu’il n’y a pas, comme certains le disent à l’envi, d’intérêt stratégique. La France dispose dans l’océan Indien de deux fortes positions : Djibouti et la Réunion. Elle n’a pas les moyens d’en avoir une troisième.

En outre, le lagon qui est, certes, une surface maritime très protégée peut aussi se révéler une véritable « nasse » en cas de conflit. Les stratèges militaires français l’ont du reste très vite compris. Sur le plan économique, Mayotte ne représente aucun intérêt majeur : pas de ressources minières, une agriculture moribonde, un tourisme balbutiant et toujours coûteux qui aurait de la peine à rivaliser avec ses concurrentes dans l’océan Indien : les Seychelles, Maurice. La donne pourrait seulement se modifier si on trouvait du pétrole dans les eaux mahoraises.

Enfin le développement de Mayotte pèse sur le budget français puisque l’économie mahoraise ne vit, pour le moment, en grande partie, que par transfert de la métropole (plus de 600 millions d’euros par an , somme qu’il faudra certainement doubler, voire tripler dans le cadre du département afin de réaliser ce que l’on appelle à Mayotte « le rattrapage » par rapport aux autres départements d’outre-mer et bien sûr par rapport à la Métropole.)
L’intérêt de la France pour Mayotte doit donc se trouver ailleurs : un attachement sentimental à l’outre-mer qui joua un grand rôle lors des différents débats parlementaires sur Mayotte depuis 1974, une certaine fierté nationale devant la persistance des mahorais à rester français. Pour certains –peu nombreux – une volonté de bien faire dans le développement de Mayotte afin d’éviter les erreurs commises depuis un siècle dans l’outre-mer français. On retrouve ainsi cet esprit saint simonien qui marqua les tout premiers pas des Français à Mayotte dans les années 1850.


Mais tout cela ne fait pas une histoire d’amour. Il faudra pour que l’idylle, s’il doit y en avoir une, se fonde sur d’autres références, sur d’autres valeurs comme un respect réciproque et la reconnaissance par les Français de la « Mahorité » et de la part des Mahorais l’abandon des soupçons de néocolonialisme nourris à l’égard de la France ou, à tout le moins, de certains français. Cela suppose sans doute des textes législatifs et réglementaires mais aussi et je dirai même surtout de nouveaux comportements.

Pourquoi l’État français tente-t-il de conserver son influence sur l’archipel des Comores depuis 1975 ?

Philippe Boisadam : L’océan Indien est une zone habituelle d’influence pour la France en raison de son passé colonial et compte tenu de la présence, dans l’océan Indien, du département de la Réunion. 


Il est vrai que la France s’est fréquemment impliquée dans les affaires de l’archipel directement ou indirectement sous des formes pas toujours convenables (comme dans les coups d’État ou tentatives de coups d’État). Et pourtant, durant toute la période coloniale d’administration directe (de 1841 à 1958) et d’autonomie interne (Territoire d’outre-mer) de 1958 à 1974, la France s’est peu occupée des Comores, investissant au minimum. Le seul investissement spectaculaire est, en 1974, peu de temps avant l’indépendance, l’aérodrome de Moroni, au grand dam, du reste, des Mahorais qui l’auraient voulu installé à Pamandzi.

On a souvent reproché à la France, par le biais de ce que l’on a appelé et de ce que l’on appelle toujours « la françafrique », c’est-à-dire le rôle joué par des réseaux secrets, que ce soit ceux de Foccart ou du fils de François Mitterrand, d’intervenir sournoisement dans les soubresauts comoriens. Cela est vrai pu plutôt cela le fut. Mais n’est-ce pas aussi avec la complicité très active des « partenaires » comoriens ?
La France a souvent aidé les Comores financièrement parlant et, elle compensait ainsi la totale indifférence de la communauté internationale (Union européenne-pays arabes-Etats-Unis) envers ce pays déshérité.

Comment est né le projet d’écrire un livre sur Mayotte ?

Philippe Boisadam : Je pense avoir été en poste à Mayotte à deux moments clefs de son histoire : en 1976, peu de temps après l’indépendance des Comores, après que l’île se fut administrée toute seule pendant une année (1975) avec un « préfet élu » (Younoussa Bamana) et à un moment où tout était à faire à Mayotte car il n’y avait effectivement rien ; puis en 1996 lorsque l’on a constitué des groupes de travail sur l’avenir institutionnel de Mayotte dont les conclusions ont débloqué la situation politique et conduit à cette première étape de la « collectivité départementale », en 200-2001. 1997, ce fut aussi l’année de la dissidence anjouanaise.

J’ai eu le sentiment que j’avais une dette envers Mayotte qui m’a beaucoup donné dans ma vie professionnelle et personnelle et envers ce grand ami que fut Younoussa Bamana. J’ai donc estimé que j’avais le devoir d’écrire ce que je savais de cette histoire mahoraise en replaçant les responsabilités des uns et des autres. D’où le livre « Mais que faire de Mayotte ? » que j’ai dédié à la mémoire de Younoussa Bamana.
Je sais que ce livre ne fera pas plaisir à tout le monde mais je me devais ce devoir de vérité.

Pourquoi avoir choisi les armoiries de Mayotte pour page de couverture. Que symbolisent-ils ?

Philippe Boisadam : Parce que ces armoiries symbolisent bien la volonté mahoraise. La devise « Nous sommes vigilants » traduit l’acharnement avec lequel les Mahorais ont voulu défendre leur position. Que l’on soit pour ou contre, cette ténacité mérite le respect.

On sent qu’il y avait comme une urgence à rédiger un livre sur cette île dans laquelle vous avez travaillé à plusieurs reprises. Estimez-vous que l’histoire de Mayotte soit mal connue des Français ?

Philippe Boisadam : Non, il n’y avait pas d’urgence particulière dans la mesure où l’enjeu du référendum était connu d’avance. On savait que les Mahorais se prononceraient en faveur de la départementalisation, encore qu’il faille souligner l’abstention, relativement élevée, de près de 30%, ce qui pourrait paraître surprenant.
Mais il fallait, un jour ou l’autre, dire la vérité sur la genèse de cette histoire mahoraise, chacun se renvoyant, à coup d’admonestations, les responsabilités.

C’est une évidence que l’histoire de Mayotte est mal connue des Français et je ne suis pas certain qu’elle soit totalement assimilée par tous les Mahorais. A chaque fois que l’histoire de Mayotte est abordée, elle l’est souvent par le prisme des idées toutes faites et des slogans récurrents : les accusations comoriennes contre la France néocoloniale, celles des Mahorais à l’encontre de la France accusée d’indifférence, celle de la communauté internationale qui ne cesse de redire que Mayotte est indûment « occupée ».

Or il faut aller au-delà de ces clichés faciles pour connaître les vraies motivations mahoraises. Il y a, sans doute, l’ambition, qui est légitime d’un standard de vie meilleur, ce que j’appellerai « la francophilie alimentaire » mais aussi l’aspiration à « autre chose » qui est mal définie, le souhait du maintien de l’identité mahoraise, l’attachement à l’islam, aux langues maternelles. Il fallait écrire tout cela en perspective. D’où ce livre.

S’arrêter sur un seul sujet n’a pas du être facile. Vous avez arrêté le titre sur « Mais que faire de Mayotte ? ». C’est assez explicite. Pourquoi cet intitulé ?

Philippe Boisadam : Tout simplement parce que c’est la question que la France s’est posée incessamment depuis 1841 sans savoir ni pouvoir y répondre. J’essaie dans le livre d’expliquer pourquoi, pendant plus d’un siècle, le France s’est demandée ce qu’elle ferait de Mayotte sans, du reste, voir poindre le particularisme mahorais et sa ferme expression.

La répétition de la question est donc la trame de l’ouvrage, répétée à chaque chapitre. Je crois que l’on peut encore se la poser car le fait d’avoir choisi le département ne conclut rien. Tout reste à faire. Ne serait-ce que dans la perspective du débat qui aura lieu au parlement français car le résultat du référendum n’est que consultatif. C’est aux parlementaires de décider ce que sera l’île de Mayotte et surtout, si l’on choisit la forme départementale classique, comment on l’adaptera pour éviter les effets pervers d’un tel statut qui est, je le répète, contesté aux Antilles, comme les récents événements l’ont prouvé.

Pourquoi avoir fait un choix chronologique plutôt que thématique ?

Philippe Boisadam : Afin de montrer l’enchaînement inéluctable des faits historiques, leur engrenage, leurs conséquences qui auraient pu être évitées si les acteurs de l’histoire mahoraise avaient été plus vigilants ou tout simplement plus lucides. De plus, pour montrer l’espèce de « fatalité historique » qui a pesé sur l’histoire des Comores et de l’île de Mayotte.
Le thème central de cette chronologie est la question que la France s’est posée dès 1841 en refusant d’y répondre : « Mais que faire de Mayotte ? »

Comment pourriez-vous caractériser les rapports entre les Comores et la France depuis 1841 ?

Philippe Boisadam : Soulignons le fait que les Comores en tant qu’entité politique et donc juridique ont été constituées théoriquement lorsque « Mayotte et les protectorats ont été rattachés à Madagascar puis plus fermement en 1946 quand a été créé le Territoire d’Outre-mer des Comores », enfin d’une manière plus cohérente en 1958.

Je sais que cette analyse est réfutée du côté comorien mais elle est historique. Jusqu’à la fin du XIXème siècle l’archipel des Comores était un ensemble géographique composé de plusieurs sultanats se faisant souvent la guerre, notamment entre Anjouan et Mayotte.
Au XXème siècle, jusqu’à l’indépendance en 1974, les rapports entre la puissance coloniale et le territoire des Comores furent distants, la France s’intéressant peu à l’archipel comme l’écrit Jacques Foccart dans ses « Mémoires ».

Néanmoins, le lien entre la France et les Comores resta emprunt d’un rapport d’ « amour-haine » classique. Il est regrettable que la France n’ait pas cherché à mieux comprendre les Comores et en particulier Mayotte. Bien des malentendus auraient pu être évités.

Les Comores continuent à défendre l’unité territoriale de leur archipel s’appuyant sur le droit international quand bien même les Mahorais ont choisi de s’ancrer définitivement dans la République française. Comprenez-vous la position des autorités comoriennes ?

Philippe Boisadam : Les Comores peuvent difficilement faire autrement que de « défendre l’unité territoriale de leur archipel » ne serait-ce que pour des raisons de cohérence nationale, le thème de Mayotte « quatrième île comorienne » étant nécessairement aisément entendu et partagé dans la population comorienne.

Néanmoins, il serait souhaitable que les Comoriens s’interrogent sur leur part de responsabilité dans cette « affaire de Mayotte ». Ont-ils toujours entendu les réclamations mahoraises ? Ont-ils toujours compris les frustrations mahoraises ? Ont-ils bien évalué l’impact que pouvait avoir le transfert à Moroni de la « capitale » du territoire des Comores alors que depuis un siècle Dzaoudzi était le centre actif de l’archipel ?

Ont-ils pu apprécier les conséquences des mesquineries de Saïd Mohamed Cheikh sup primant par exemple l’achat d’une barge entre la Petite et la Grande Terre ?
Il aurait fallu que les Comores soient attractives pour que les Mahorais aient eu l’envie de demeurer ancrés au pouvoir de Moroni. Il aurait aussi fallu que soit mis en place très tôt, sans doute dès l’indépendance, un fédéralisme accueillant.

Enfin, comme je l’ai déjà dit, les coups d’État successifs, la dégradation de la vie économique, l’absence, pendant de longues années, de vie démocratique réelle, tout cela ne pouvait que rendre méfiants les Mahorais.
En ce qui concerne la référence au droit international, nous savons bien que les Mahorais arguent d’exemples nombreux que je cite dans mon livre selon lesquels c’est le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui a prévalu.

Aujourd’hui aux Comores des voix s’élèvent pour remettre en cause les relations privilégiées entre Moroni et Paris. L’entrée dans le jeu diplomatique comorien d’acteurs et de nouveaux partenaires comme la Chine, l’Iran, le Soudan, la Tanzanie, la Lybie et encore de nombreux pays du golfe arabo-persique atteste que quelque chose a changé. La départementalisation de Mayotte ne risque pas d’arranger les choses. Selon vous comment Comoriens et français peuvent-ils travailler au mieux et ménager leurs intérêts communs ?

Philippe Boisadam : Si les pays que vous évoquez permettent aux Comores à relever son niveau de vie, à mettre en œuvre un développement qui ne soit pas dépendant de l’extérieur, à faire vivre une réelle démocratie, je pense que la France devrait s’en réjouir. Cela ne semble pas le cas cependant pour le moment, au-delà des déclarations de principe, toutes généreuses mais pas toujours suivies d’effets concrets. Quant à la vie démocratique, on peut s’interroger sur les exemples que vous donnez.

La France et les Comores ne pourront, je pense, jamais abolir la longue période de leur histoire vécue en commun, même si la France n’a pas su accorder aux Comores la part convenable qui aurait dû lui revenir dans l’ensemble ultra marin.
Le rôle de la France – mais le peut-elle ? – est d’aider les Comores à, par exemple, créer à Anjouan des infrastructures sanitaires convenables qui éviteront aux anjouanaises de risquer leur vie pour venir accoucher à Mamoudzou.

Je le répète : c’est parce que les Comores ne sont pas attractives tant économiquement que du point de vue démocratique et social que les Mahorais n’ont eu aucune envie de revenir dans le giron comorien.

Ceci dit, il est évident que le choix de la départementalisation rend les rapports avec les Comores plus difficiles pour la France, d’autant plus qu’il est clair que l’immigration dite clandestine entre Anjouan et Mayotte ne fera que s’accentuer au fur et à mesure où se développera l’île.
Malheureusement je crains que la France n’ait pas les moyens d’aider d’une manière significative les Comores pour que le standard de vie de ce pays rattrape celui de Mayotte. Rappelons qu’à l’heure actuelle le PIB mahorais est neuf fois supérieur au PIB comorien.

Il est donc impératif que la communauté internationale se penche plus sérieusement sur la situation comorienne et apporte un soutien important. Sans lui, la disparité entre les Comores et Mayotte ne fera que s’accentuer.

L’influence française n’est-elle pas menacée par ce nouveau jeu de chaises musicales ?

Philippe Boisadam : Que l’influence française ne soit plus omnipotente aux Comores ne me gêne pas. Bien au contraire. La France s’est trop souvent occupée des affaires comoriennes dans des conditions parfois douteuses. Un désengagement à cet égard ne me semblerait que positif.

Y a-t-il vraiment une relation exclusive entre Mayotte et la France ?

Philippe Boisadam : On ne pourra jamais réfuter le fait que l’histoire de Mayotte, ses racines religieuses, culturelles s’inscrivent profondément dans cette zone de l’océan Indien. Pas seulement avec les Comores mais aussi avec l ’Afrique et Madagascar.

Le lien avec la France ne doit donc pas être exclusif, possessif si j’ose dire sectaire. Bien au contraire, Mayotte doit s’ouvrir sur son environnement. La question fondamentale est de savoir si la forme du département le lui permettra. C’est pourquoi le chantier qui reste à ouvrir, entre autres considérations, doit évoquer ce problème. Trouvera-t-on la solution adéquate ? Je l’ignore. La question s’est posée aux Antilles. Il a été démontré que le département, à cet égard, était un carcan et c’est pourquoi – entre autres raisons – de nombreux Antillais et Réunionnais ont demandé son évolution.

On aurait pu saisir, à Mayotte, l’occasion de la consultation pour trouver une forme juridique qui eût permis plus aisément ce type d’adaptation. Cela n’a pas été fait car on a voulu répondre à la demande pressante des Mahorais qui souhaitaient un, ancrage juridique sûr dans la république française, tous les autres régimes que le département étant considérés par eux comme précaires et réversibles.

Qu’est-ce que l’irrédentisme mahorais ?

Philippe Boisadam : Mais tout simplement une volonté farouche, exprimée dès 1975, de rester dans l’orbite française pour échapper au giron comorien. Les atermoiements français, les erreurs comoriennes ont progressivement transformé cette volonté qui n’était que naissante dans les années 1960 en une détermination de roc. D’où le terme d’irrédentisme. Il a « surdéterminé » la politique mahoraise pendant trente années en occultant, malheureusement, les vrais problèmes que l’on n’a pas eu le courage d’aborder comme celui de la préservation de l’entité mahoraise. On aurait certainement pu faire autrement.

Votre livre est un pavé dans la mare en ces temps de réjouissances départementalistes. Ne craignez-vous pas d’être taxé d’anti-mahorais et d’aller à l’encontre des intérêts français dans la région. En somme d’être attaqué de toutes parts ?

Philippe Boisadam : Pourquoi parler de « pavé dans la mare » ? Qui pourrait supposer que je sois « anti mahorais » et que je vais « à l’encontre des intérêts de la France dans la région » ? Je pose un certain nombre de questions quant à l’avenir de Mayotte après avoir essayé d’analyser pour quelles raisons il y a eu une « affaire de Mayotte ». Je tente d’identifier les responsabilités qui ne sont pas uniquement celles d’un camp ou d’un autre. Je rappelle des faits qui sont objectifs depuis 1841.

Arrêtons à Mayotte de cultiver « la pensée unique » qui répartit d’une manière manichéenne : ceux qui sont pour la départementalisation, ceux qui sont contre, ceux qui sont pour les Comores, d’autres qui ne veulent pas entendre parler de leurs voisins. Ce sont ces schémas simplistes qui ont obéré ce qui aurait dû être un débat ouvert, franc, loyal exhaustif. Si mon livre peut susciter des interrogations et surtout des réponses j’en serais heureux. Ce n’est pas « un pavé dans la mare », c’est une brique dans l’édifice futur de Mayotte qui reste à construire.

Dans votre livre personne n’est épargné (autorités comoriennes, mahoraises et encore moins françaises). Quel est le message essentiel de votre livre ?

Philippe Boisadam : Si vous lisez ce livre avec attention vous constaterez que je m’efforce de dresser un portrait nuancé des acteurs de l’histoire franco-comoro-mahoraise.

La réalité est en effet complexe et personne n’est tout à fait blanc ou tout à fait noir, si je puis utiliser cette image. Il y a aussi des personnalités qui se dégagent dans cette chronologie comme celle de Younoussa Bamana ou de ministres français en charge de l’outre-mer qui ont fait preuve de lucidité, de courage et de franchise à l’égard des mahorais, comme les ministres Le Pensec et Queyranne. Je souligne le rôle joué par des acteurs importants de l’histoire mahoraise comme Marcel Henry ; Henri Jean-Baptiste, Jean-François Hory et Mansour Kamardine, en dépit, pour ce dernier, de ses agissements à l’égard de Younoussa Bamana que je ne saurais oublier.

Le message essentiel de mon livre est que depuis 1841 la France n’a pas voulu ou n’a pas su définir l’avenir qu’elle entendait donner à Mayotte et cela jusqu’à l’indépendance des Comores en 1974.

C’est aussi l’irresponsabilité des autorités comoriennes successives qui n’ont fait qu’attiser le particularisme mahorais et rendu de plus en plus irréductible la volonté de Mayotte de rester française. C’est aussi le fait que l’irrédentisme départementaliste a presque totalement annihilé tout débat réellement ouvert avec la population mahoraise dans ses profondeurs sur l’essentiel de son devenir : son identité, la place de la religion, sa culture, son enracinement africain et régional. On a voulu enfermer, sous une apparence de concertation, l’essentiel des interrogations dans un schéma simpliste : pour ou contre la départementalisation.
Il est peut-être encore temps d’ouvrir un vrai débat.

Vous aimez beaucoup Mayotte et vous semblez craindre pour son avenir, notamment que la départementalisation n’engendre « une assimilation brutale, une perte de l’identité mahoraise et des frustrations culturelles et religieuses qui aboutiraient à un raidissement ».

Philippe Boisadam : Oui j’aime Mayotte et les Mahorais. Mayotte m’a beaucoup donné et j’y ai vécu des moments importants de ma vie personnelle et professionnelle. Aimer, c’est dire la vérité. C’est ce que je tente de faire dans ce livre. Oui je suis inquiet pour l’avenir de Mayotte. Je crains effectivement que la France ne réitère à Mayotte les erreurs qu’elle a pu faire dans ses territoires d’outre-mer et qui provoquent les événements que nous venons de vivre aux Antilles.

Je crains que les revendications qui ne manqueront pas de s’exprimer rapidement ne dégénèrent d’une manière violente, toujours dans la perspective de ce rattrapage dont on parle tant dans l’île. Je redoute que la France n’ayant pas les moyens de répondre rapidement à ces revendications se trouve en porte à faux.

Oui j’ai peur que si l’on applique à Mayotte un développement qui ne soit pas fondé sur une reconnaissance des spécificités mahoraises (religion-culture-histoire-coutumes etc..) on n’aboutisse à des réactions, elles aussi violentes et, petit à petit à un processus de rejet. Les événements de 1993 peuvent, à tout moment, être revécus. Enfin je crains que les métropolitains qui viennent à Mayotte ne modifient pas leur comportement et continuent à se comporter comme des « expatriés ». Ne trouvez-vous pas étrange que l’on continue à utiliser cette expression pour des Français qui vivent dans une île se voulant résolument française ? Pour ma part, je ne l’ai jamais admis.

Par ailleurs, il faut que les Mahorais comprennent l’âme française. On parle de « Mahorité » certes mais il a aussi la « Françitude » si vous me pardonnez ce néologisme. La synthèse entre la culture mahoraise et la culture française, je l’ai rarement trouvée à Mayotte sinon chez Younoussa Bamana comme je le précise dans le passage que je lui consacre. Cette synthèse ne se fera que dans un respect mutuel. Je pense que nous en sommes encore loin.

Quel rapport entretenez-vous avec l’actuelle collectivité départementale française en passe de devenir département ?

Philippe Boisadam : Je n’ai plus de rapport avec la collectivité en tant qu’institution. Par contre, j’ai encore à Mayotte de nombreux amis qui me font l’honneur de reconnaître que j’ai beaucoup donné à Mayotte à des moments difficiles de son histoire.

Que saviez-vous de cette île de Mayotte et de l’ensemble de l’archipel avant de venir y travailler comme secrétaire général de la représentation du gouvernement entre 1976 et 1978 ?

Philippe Boisadam : Je n’en savais pas grand-chose et ma connaissance de Mayotte, des Comores passait par le prisme habituel des clichés. C’était le cas de tous ceux qui sont venus à Mayotte en 1976. J’ai tout découvert en arrivant en 1976.

Quelle est la particularité de ce territoire d’outre-mer, selon vous, par rapport aux autres ?

Philippe Boisadam : Ce qui m’a frappé en 1976, c’est l’isolement de Mayotte qui ne s’inscrivait plus dans les chemins maritimes de grand passage.
Mayotte est marquée par une étonnante alchimie entre les influences africaines, malgaches et à un moindre degré arabe. Je suis surpris quand la Ligue arable déclare, comme elle vient de le faire, que « Mayotte est un pays arabe occupé » !
Je suis aussi frappé par la prégnance toujours très forte de l’animisme qui influence la pratique de l’islam mais aussi toute la vie sociale sur laquelle sont venus se plaquer brutalement des schémas européens.
La colonisation française n’a laissé que peu de traces profondes à Mayotte contrairement à d’autres territoires d’outre-mer.

Quelle est la chose qui vous a marqué le plus lorsque vous avez mis les pieds pour la première fois à Mayotte ?

Philippe Boisadam : C’est incontestablement la beauté des paysages et aussi la grande sympathie que la population mahoraise nous a réservée. Il n’y avait pas ces arrière-pensées qui obèrent les relations actuelles entre les « M’Zoungous » et les Mahorais.
Mais c’est aussi l’immense dénuement dans lequel se trouvait Mayotte. Lorsque je suis passé à la Réunion avant de prendre le Transall qui m’a conduit à Mayotte, j’ai rencontré Michel Debré, l’ancien Premier ministre qui était député de l’île de la Réunion. Il m’a dit « Vous allez avoir honte de notre pays ». Il avait raison ! La France et le territoire des Comores, aux mains de Moroni, n’avaient pas fait grand-chose pour Mayotte. Comme le répétait souvent Younoussa Bamana : « Il n’y avait rien ».

En quoi consistait votre fonction de secrétaire général de la représentation du gouvernement français ?

Philippe Boisadam, ancien préfet de Mayotte © DR

Philippe Boisadam : Cette fonction de secrétaire général est classique dans le cursus préfectoral français. Le secrétaire général est le collaborateur le plus proche du préfet. Il le remplace en cas d’absence ou d’intérim. Mais la situation , n’avait rien à voir avec ce schéma .en 1976 à Mayotte.

Certes, j’étais bien le numéro 2 de la hiérarchie administrative auprès de Jean-Marie Coussirou, le premier préfet, mais l’ampleur des tâches était telle que tous les membres de la petite équipe qui entourait le préfet devaient mettre la main à la pate. Je me rappelle avoir contribué au déchargement de navires (avec des boutres), avoir fait remettre en état les cimetières, mais aussi avoir crée la Société immobilière de Mayotte, la Caisse de Prévoyance sociale, commencé à introduire en Grande Terre l’électricité, organiser le ramassage des ordures etc.. La liste serait longue.

Nous étions des pionniers et accomplissions notre mission avec enthousiasme, en parfaite symbiose avec les Mahorais.
Il faudra qu’un jour je décrive les conditions dans lesquelles nous avons préparé la rentrée scolaire d’octobre 1976 sans aucune base juridique (le statut de collectivité territoriale n’a été votée qu’en décembre), sans classes, sans maîtres. Lorsque j’entends certains dire qu’il aurait fallu en 1976 faire venir massivement des maîtres de métropole, je souris car où les aurions-nous logés ? Et comment les aurions-nous trouvés en quelques semaines alors que nous avions eu toutes les peines du monde à trouver des collaborateurs, comme Jean-François Hory volontaires pour ce qui était quand même une « aventure » ?
Notre travail a été, pendant deux ans, de mettre en place les embryons d’une administration, faire venir des médecins, des ingénieurs et trouver des crédits alors que la France ne savait évidemment pas ce qu’elle allait faire de Mayotte.

Quel lien entreteniez-vous (l’État français) avec les autorités comoriennes dont feu le premier président des Comores Ahmed Abdallah ?

Philippe Boisadam : Il n’y avait plus de relations officielles entre la France et le nouvel État des Comores depuis la déclaration unilatérale d’indépendance de 1974. J’ai vécu en 1976-1978 la période tumultueuse de la vie politique comorienne : le coup d’État par Ali Soilihi, l’éviction d’Ahmed Abdallah, la mort d’Ali Soilihi (son assassinat par les mercenaires de Bob Denard), le retour d ’Ahmed Abdallah.

Nous sommes alors dans la seconde moitié des années 70. Djibouti et les colonies portugaises sont en train d’être décolonisées, les Comores aussi. Sauf, que les choses semblent plus compliquées. Quelle est l’atmosphère politique du moment dans ces îles localisées entre Madagascar et l’Afrique de l’Est ?

Philippe Boisadam : Mais l’atmosphère politique pour reprendre votre expression était bien à la décolonisation. Dans les années 1970, la France avait pris conscience que l’indépendance des Comores était inéluctable. Des négociations en ce sens avaient été ouvertes qui auraient dû aboutir, si elles avaient été bien menées de part et d’autre, à la constitution d’un État réellement fédéral où Mayotte aurait peut-être pu prendre sa place. Il n’en a rien été.

Les positions se sont rapidement crispées. Et Ahmed Abdallah a précipité les choses en déclarant unilatéralement l’indépendance, essentiellement pour des raisons de politique intérieure, comme je l’analyse dans mon livre.

A partir de ce moment la situation s’est évidemment tendue non seulement avec les Comores mais avec les pays de la zone de l’océan Indien concernés. C’est ainsi que les Malgaches ont, pendant plusieurs mois, interdit le survol de leur territoire aux avions venant de la Réunion en direction de Mayotte. On mettait alors près de 7 heures pour faire le trajet dans des Transall.

Quelle est alors la position officielle de l’Etat français sur la décolonisation des Comores, notamment la position du général Charles de Gaulle (avant sa disparition en 1970), de Georges Pompidou et de Valéry Giscard d’Estaing et plus tard de François Mitterrand, de Jacques Chirac ?

Philippe Boisadam : Si je comprends bien votre question, vous voulez me faire préciser les positions prises par la France et les chefs de l’État successifs au regard de l’indépendance des Comores et de l’affaire de Mayotte. C’est l’objet d’une grande partie de mon livre.

Ce qu’il faut retenir, c’est que les chefs de l’État français et leurs gouvernements ont constamment louvoyé, atermoyé, partagés entre le désir de voir Mayotte retourner aux Comores et celui de satisfaire cette francophilie mahoraise exprimée bruyamment. Jusqu’en 1986, les gouvernements français ont caressé l’espoir que l’on pourrait trouver une solution permettant la réintégration de Mayotte dans l’ensemble comorien. Il y a eu des tractations secrètes avec Moroni en ce sens. La gauche notamment, les socialistes et surtout les communistes, étaient farouchement hostiles au maintien de Mayotte dans la République française et, à fortiori, sous la forme d’un département.

Ces hésitations expliquent que l’on a attendu pour répondre à la question : Mais que faire de Mayotte ? Vouloir penser qu’il y a eu de la part de la France une volonté secrète de se maintenir à Mayotte est absurde. Il faut regretter, bien évidemment, cette absence de volonté et que l’ont ait tant menti aux Mahorais.

En quoi la position du président Nicolas Sarkozy sur la question de Mayotte est-elle différente si tant est qu’elle l’est ?

Philippe Boisadam : Il faut admettre que le président français actuel et son gouvernement ont permis que la consultation des Mahorais sur la départementalisation ait lieu encore qu’ils aient été liés par l’accord de 2000-2001. Ceci dit, il conviendra de voir ce que sera ce département et dans quels délais il prendra forme. C’est le débat de fond que j’évoque dans mon livre. Il faut néanmoins créditer le président Sarkozy et son gouvernement de ne pas donner, pour le moment, le sentiment de biaiser avec les aspirations mahoraises.

Lorsque vous travailliez comme secrétaire général de la représentation du gouvernement français quelles sont les personnalités marquantes de l’archipel et pourquoi ?

Philippe Boisadam : J’ai bien connu l’équipe militante du Mouvement Populaire Mahorais et je suis témoin de l’ardeur avec laquelle elle a défendu le maintien de Mayotte dans la République française alors qu’il était éminemment menacé. Une personnalité se dégage toutefois dans mon souvenir. Je l’ai déjà dit : c’est celle de Younoussa Bamana pour qui j’avais estime, admiration et amitié. Il a su par la richesse de son tempérament, son sens de l’humour, sa grande lucidité donner à la cause mahoraise une authenticité qui aurait pu être contestée s’il n’avait pas été présent.


Il était pour la départementalisation mais il savait être conscient des limites d’une telle aventure. Il connaissait les défauts des Mahorais et les leur disait. Il parlait franc aux représentants de l’État français, ministres et préfets. Il n’hésitait pas à s’engager personnellement pour inciter les jeunes à plus de responsabilisation. Il stigmatisait la politique de la main tendue, la jugeant indigne. Il a été l’honneur de Mayotte. 


Je ne souhaite pas faire ici l’énumération des personnalités mahoraises qui ont marqué cette époque car je le fais dans mon livre et je ne voudrais pas apparaître comme trop sélectif !
En ce qui concerne les Comores, j’ai été curieux de l’expérience qu’Ali Soilihi a tentée, mais d’une manière maladroite et, en tout état de cause, trop autoritaire. Ce fut certainement le chef d’État comorien le plus intelligent. Il est dommage qu’il ait cédé à la mégalomanie.

Quels sont les réseaux politiques français les plus influents à Mayotte ?

Philippe Boisadam : Il faut tout d’abord dire que les clivages politiques métropolitains n’ont pas, à Mayotte, une grande signification. On a vu, tout au long de l’histoire mahoraise, des alliances étonnantes comme celle par exemple qui vit, en 1999-2000, s’unir dans un même front anti MPM les socialistes et le RPR. Les querelles de personnes, la quête des postes l’emportent malheureusement souvent sur les débats d’idées. 


Quand, dans les statistiques du Ministère de l’Intérieur, à l’issue de chaque consultation, on peut lire que tel ou tel élu se voit attribuer l’étiquette « divers gauche » ou « divers droite », cela est risible. Car que veut dire « divers gauche » ou « divers droite » à Mayotte ?
On parle d’un mouvement gaulliste à Mayotte mais entendez-vous les soi-disant gaullistes parler du général de Gaulle ?


Par contre, il est évident que les grands partis métropolitains jouent un rôle dans le financement des campagnes électorales. C’est en partie parce que Younoussa Bamana n’avait le soutien d’aucun parti national qu’il a échoué aux sénatoriales de 2004. Les Mahorais ont été ingrats. Je le regrette.
Il faut espérer qu’un jour puisse naître et se développer à Mayotte une conscience politique spécifique avec sa traduction dans des partis authentiquement mahorais. Mais lisez mon livre vous verrez combien durant ces trente années les alliances se sont nouées et défaites sans que l’on ne comprenne bien mes motivations idéologiques.

Dans votre mission à Mayotte qu’est-ce qui vous apparaissait le plus difficile à gérer ?

Philippe Boisadam : Tout dépend de la période dont vous parlez. En 1976 c’était l’impérieuse nécessite de faire face sans moyens, sans liaisons extérieures aisées, à l’essentiel. 


En 1996-1998 la difficulté était de faire prendre conscience aux Mahorais de l’enjeu que représentait leur devenir. Nous avons essayé, dans le cadre du groupe de réflexion local sur l’avenir institutionnel de Mayotte, en 1997, d’inciter à cette prise de conscience. Il est, du reste, regrettable que des responsables politiques mahorais aient, à ce moment là, boudé cette réflexion tout en s’y référant néanmoins quand il s’est agi de faire, par exemple, voter la loi interdisant la polygamie.

Vous entreteniez une relation amicale profonde avec le politicien mahorais feu Younoussa Bamana. Qui était-il ? Quelle vision avait-il de Mayotte (dans l’ensemble français) ?

Philippe Boisadam : J’ai déjà exprimé mes sentiments à l’égard de Younoussa Bamana sans qui, je crois, l’affaire mahoraise n’aurait pas évolué comme elle le fait actuellement. Ce qui le caractérisait c’était sa lucidité tant à l’égard de ses compatriotes mahorais, de l’islam et sa pratique, des Comoriens (surtout Anjouanais) que des Français. Il voulait que Mayotte reste dans la République française mais pas au sacrifice de son âme. C’est principalement pour cette raison que je lui ai dédié le livre que je viens de publier.

A Mayotte les « chatouilleuses » sont plus qu’un mythe. Quel regard aviez-vous sur ces femmes et selon vous qu’ont-elles apporté à Mayotte ?

Philippe Boisadam : Je rappellerai tout d’abord qu’en 1976, tout au moins à partir dfe Juillet 1976, il n’y avait plus de « chatouilleuses » à Mayotte. La France ne l’eût pas permis.
On a beaucoup exagéré à des fins politiciennes anti- mahoraises la cruauté de ces femmes. On a même parlé de « tortures ». Il n’en est évidemment rien. J’en parle dans mon livre. Ce furent des femmes remarquables par leur ténacité, comme Zeina M’Déré ou Zeina Méresse.

Elles ont agi avec conviction que même ceux qui n’ont pas été d’accord avec elles reconnaissaient. Elles n’ont pas revendiqué de carrières politiques, de places. Zeina M’Déré, quand je l’ai revue en 1996 vivait chichement. Elles eurent et elles ont toute mon admiration.

Quel regard aviez-vous sur le conflit opposant les « Serrez la main » aux « Soroda » ?

Philippe Boisadam : La France et ses représentants n’avaient pas à prendre parti. Ils avaient pour mission de faire respecter l’ordre public et de tenter, modestement et très lentement, de faire vivre une vie démocratique par le biais des élections.

Vous revenez travailler à Mayotte comme préfet, représentant du gouvernement entre 1996 et 1998, que ressentiez-vous en retrouvant Mayotte vingt ans après ?

Philippe Boisadam : Je rappellerai une anecdote : lorsque je suis revenu à Mayotte en 1996 j’ai dit spontanément que je venais y retrouver une partie de mon âme que j’avais laissée en 1976. Au risque de faire sourire, j’ai eu le sentiment de rentrer chez moi. Bien sûr beaucoup de choses avaient changé. Mayotte n’était plus celle que j’avais connue vingt ans plus tôt. 


L’atmosphère s’était modifiée. Les relations entre métropolitains et Mahorais n’étaient plus les mêmes. On avait importé à Mayotte les ambiances classiques de l’outre-mer français. Fort heureusement, il y avait des prémices d’espoir : l’éveil, timide, d’une vie politique, une jeunesse – qui n’avait pas connu l’époque héroïque – qui revendiquait sa place, un syndicalisme responsable mais aussi une immigration dite clandestine de plus en plus forte.

Quelle différence y a t il entre votre travail : de secrétaire général de la représentation du gouvernement- français à l’époque et celui de préfet, représentant du gouvernement ? En quoi consiste votre mission dans ces années-là ?

Philippe Boisadam : Lorsque je suis revenu à Mayotte comme préfet, je me suis trouvé à un poste de responsabilité important, en première ligne avec de grands pouvoirs bien plus grands que ceux de mes collègues de métropole puisque la tutelle préfectorale sur les actes du Conseil général et des Communes était une tutelle quasi absolue. Un journaliste, Zaidou Bamana, m’avait même appelé dans le journal Kwezi « le gouverneur ». Je n’ai jamais su si cela était une critique ou un compliment ! J’avais à mes côtés deux secrétaires généraux et un directeur du cabinet. 


Ma mission, je me la suis définie moi-même car, aussi étrange que cela puisse paraître, je suis parti de Paris sans consignes particulières. J’ai pensé qu’il fallait certes poursuivre le développement de Mayotte. C’ est ainsi que j’ai voulu donner un coup de fouet aux équipements publics : écoles, administrations (c’est ainsi qu’a été déménagée en Grande terre la direction des finances installée dans des conditions sordides à Dzaoudzi près de la « résidence préfectorale », qu’ont été créés le bâtiment des archives, celui des affaires maritimes, que le préfecture a été agrandie etc.…C’est à cette époque que la retenue collinaire de Combani a été ouverte, ainsi que l’unité de dessalement à Pamandzi. 1998 a été la première année depuis longtemps où il n’y a plus eu de coupures d’eau.
Mais je ne veux pas faire ce que d’aucuns pourraient considérer comme le panégyrique de mon action. 


Je veux retenir ce qui me semble le plus important : faire prendre conscience aux Mahorais de ce qui fait leur authenticité j’ai tenté de promouvoir les langues maternelles le shimaore, le kibushi, j’ai souhaité donner sa place à l’islam mais je me suis heurté à bien des oppositions. J’ai animé le groupe de travail sur l’avenir institutionnel de Mayotte dont je parle longuement dans mon livre. Ce fut un moment important bien que je regrette qu’il n’ait pas été plus large au sein de la population. Je souhaitais que les Mahorais prenne en main leur destin tout leur destin, pas seulement le seul slogan politique : « départementalisons ».

En 1994/1995 apparaît le « visa Balladur » qui ne permet plus la libre circulation entre les ressortissants des quatre îles de l’archipel (Anjouan-Mohéli-Mayotte et Grande Comore). Ce visa est à l’origine de milliers de morts entre Anjouan et Mayotte et consacre les citoyens de L’Union des Comores en « immigrés clandestins ». Que pensez-vous de ce visa ?

Philippe Boisadam : A l’époque, il correspondait à une très forte demande des Mahorais qui voyaient leur île, disaient-ils, « envahie » par des non Mahorais, principalement des Anjouanais. Ce fut donc une nécessité politique. Si cette décision n’avait pas été prise, on aurait assisté à Mayotte à des actions violentes à l’encontre de ces Anjouanais qui, c’est vrai, tentent de venir à Mayotte en risquant leur vie dans des conditions scandaleuses qui profitent à quelques « passeurs » exploiteurs de la misère humaine. 


Mais il faut se demander pourquoi cette « immigration clandestine » ? La réponse est évidente : ce sont les conditions de vie que connaissent les intéressés qui les poussent à quitter leur île natale. La solution passe donc non pas dans la suppression du contrôle de l’immigration mais dans l’aide massive au développement de l’île voisine. Malheureusement, je crains que la France seule n’en ait pas les moyens et je doute de la volonté des autres pays à l’accompagner dans cet effort, que ce soit l’Union européenne où les pays en principe « amis des Comores », comme les pays arabes. 


Plus Mayotte se développera, plus la pression migratoire se fera forte ? Je pourrais, mais je ne cèderai pas à cette facilité, citer Michel Rocard et sa célèbre phrase « La France n’a pas vocation a accueillir toute la misère du monde ». Mais c’est un peu cela. Toutefois, il faudrait d’urgence mettre un terme au massacre effroyable que constituent les traversées entre Anjouan et Mayotte. Le renforcement des contrôles, l’accroissement des moyens de surveillance (vedettes, radars) ne pourront pas arrêter ce flux de la misère. Seul l’aide au développement le permettrait.

 Younoussa Bamana, l’un des pères de l’anti-indépendance et de la départementalisation de Mayotte et son ami l’ex-préfet de Mayotte Philippe Boisadam© Philippe Boisadam Vingt ans sont passés. Les Comores voisines peinent à trouver leur vitesse de croisière et l’instabilité institutionnelle devient à partir de ces années-là quasi chroniques. C’est notamment le début en 1997 du séparatisme à Anjouan. Certains leaders séparatistes vont jusqu’à demander le rattachement d’Anjouan avec la France. Comment vivez-vous ces événements de Mayotte ?

Philippe Boisadam : J’étais effectivement à Mayotte comme préfet quand ont commencé les événements d’Anjouan que j’évoque aussi dans mon livre.
Certains ont accusé la France d’être, en coulisses, un des acteurs de ce séparatisme anjouanais. Soyons sérieux : ce n’est pas parce que quelques nostalgiques de la colonisation ont frayé avec les séparatistes d’Anjouan, certains venant de la Réunion, d’autres de Mayotte que la France – qui plus est à l’époque la France socialiste – se serait compromise dans un tel bourbier alors qu’elle avait déjà les plus grandes peines à gérer le dossier mahorais ! 


Le sentiment qui a donc prévalu à cette époque fut un grand embarras d’autant plus que Mayotte se trouvait indirectement concernée par l’arrivée accrue d’Anjouanais qu’il fallait, pour certains, soigner en les protégeant de la vindicte mahoraise.

Aujourd’hui encore, on entend, ici et là, que les habitants de l’archipel des Comores sont incapables de s’entendre. Vous qui les avez côtoyés de près, partagez-vous cet avis ? Les Comores indépendantes et Mayotte département français, n’est-ce pas une relation impossible ? Quelles relations les Mahorais et autres ressortissants de l’archipel des Comores doivent-ils avoir ?

Philippe Boisadam : Le moins que l’on puisse dire c’est que l’histoire de l’archipel des Comores depuis près de deux siècles est marquée par les rivalités. C’est en raison de celles-ci qu’Adriantsouli a vendu Mayotte à la France afin d’échapper à la tutelle anjouanaise. C’est, en partie, parce que les Anjouanais et les Comoriens avaient des comportements considérés par les Mahorais comme hégémoniques que ceux-ci ont voulu s’en affranchir. C’est bien parce que les Anjouanais protestaient contre la tutelle de la Grande Comore qu’ils ont, en 1997, fomenté leur soulèvement séparatiste. Ces faits ne sont-ils pas indiscutables ? Certes, pour les expliquer on a voulu, classiquement, trouver une explication dans les « menées étrangères » et, bien évidemment on a accusé la France. Mais l’explication était trop facile. 


L’unité des Comores se confirmera lorsque chacun trouvera dans l’Union sa juste place et lorsque les richesses seront réparties équitablement. Tant que cette équation ne sera pas résolue, les tensions persisteront.
Quant aux relations de Mayotte – et derrière elle de la France – avec les Comores, il est évident que la départementalisation de l’île ne facilitera pas le dialogue surtout, comme je l’ai déjà dit, si le hiatus de standard de vie entre les trois îles et la quatrième s’accentuent.
Encore une fois- au risque de me répéter – seule une aide massive aux Comores sera de nature à réduire la distance et donc à faciliter les relations. Les Mahorais sont ancrés dans une réalité régionale très ancienne, que ce soit au plan religieux ou à celui de la culture, des coutumes, de la vie sociale. Il s’agit d’un fait d’évidence dont on ne peut pas ne pas tenir compte.

Vous dites dans votre livre que c’est la recentralisation au profit de Moroni en Grande Comore au détriment de Dzaoudzi-Mayotte qui va permettre la création d’une opposition mahoraise, du séparatisme mahorais avec l’émergence du Mouvement Populaire Mahorais (MPM). Aujourd’hui, on distingue les Mahorais des Comoriens et une opinion tenace voudrait que ces deux blocs ne puissent s’entendre. Quel est votre avis ?

Philippe Boisadam : Oui le transfert de la « capitale du territoire des Comores » en 1958 de Dzaoudzi à Moroni a été le catalyseur du séparatisme mahorais. Je dis dans mon livre : imaginons que la capitale des Comores ait été confirmée à Dzaoudzi – ou plutôt à Pamandzi – ne croyez-vous pas que les choses auraient pu être tout autres ?
Ce sont aussi les conséquences de cette centralisation à Moroni qui ont nourri la colère mahoraise : les mesquineries à l’égard de Mayotte, l’accaparement des flux commerciaux, celui des terres (à l’instar d’Ahmed Abdallah et de son domaine de Dzoumogné) etc

Si les conditions économiques principalement devaient s’améliorer aux Comores, si l’Union devenait une entité forte porteuse d’un projet, si une réelle vie démocratique s’y installait, il n’ y aurait pas de raison pour que Mahorais et Comoriens ne puissent pas dialoguer car, je l’ai répété, ils ont en commun de nombreuses racines.
Il n’est cependant pas certain que cette perspective soit proche bien qu’à titre individuel les Mahorais et les Comoriens ont encore, entre eux, de multiples passerelles, ne serait-ce que celles nouées au sein de liens familiaux. N’y a t-il pas de nombreux Mahorais, y compris des élus, qui font le voyage d’Anjouan et de Grande Comore ? La dernière fois que je suis passé à Moroni, en 2004, j’y ai rencontré plusieurs élus mahorais qui avaient l’air heureux de leur présence en Grande Comore. Quel est le Mahorais qui n’a pas un parent ou un ami dans l’une des trois autres îles ?

Avez-vous suivi les huit dernières années de l’existence de Mayotte et comment voyez-vous l’avenir de Mayotte ?

Philippe Boisadam : Oui bien sûr, j’ai suivi les huit dernières années de l’existence de Mayotte où je suis retourné comme je le disais précédemment en 2004.
Je me répète : la consultation du 29 mars qui peut être considéré par certains comme l’aboutissement d’un combat de plusieurs décennies, ne règle rien. Tout est à faire. Les Mahorais doivent en prendre conscience et ne pas se polariser uniquement sur ce « rattrapage » qui n’est que l’épiphénomène de questions beaucoup plus graves. Qu’ils organisent eux-mêmes le débat et que la jeunesse ne le laisse pas capter par une minorité de personnes, certes respectables, mais qui ont tendance à cultiver « la pensée unique ».

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