Que dire de la musique comorienne ? Volcanique, comme sa terre, déchirée entre archipel et continent, donc traversée par des filons insoupçonnés et des influences trop nombreuses pour être clairement définie. S’il y a un bout par laquelle la prendre, c’est par Abou Chihabi. Plus mpvandzi que folkeux traditionnel, l’homme qui a forgé le concept de “folkomore” est le visage sonore de son pays depuis un demi-siècle. On peut l’appeler le Dylan de Moroni et on aurait pas totalement tort.
Sa musique “de voyages, d’ouverture” vient des Comores mais prend ses racines dans toute l’Afrique de l’est. Résultat, un lyrisme unique, une dextérité à la gratte forgée autant dans les écoles africaine et jamaïcaine que dans une jeunesse passée sur une île remplie de sonorités omniprésentes. Un côté revendicateur, aussi, dénonciateur d’injustices sociales avec un sourire en coin, et un enrobage mélancolique, cette saudade typiquement brésilienne transposée aux ambiances de l’océan Indien.
Abou Chihabi a traversé l’histoire de son île. Il a écrit l’hymne nationale de son pays. Il en a été chassé par un coup d’Etat. Il a traîné sa tristesse et sa colère sur les routes du Kenya et de Tanzanie. Il s’est fait un nom dans cet exil. Il s’en fera un plus grand encore en France, où il pose éventuellement ses valises. Il a été récompensé par RFI, participé à trop de festivals pour s’en souvenir. Il était à la première Fête de la Musique en 1983, entre Jack et Danièle.
Et puis surtout, Abou Chihabi est l’arbre qui cache la forêt de la musique comorienne. Derrière lui, le twarab, le mgodro, la jeune scène rap de l’archipel, pleins de courants un peu cachées qui évoluent sous la surface dans ce paysage sonore comorien que la journaliste Soeuf Elbadawi qualifie, avec assez de classe, d’“élastique, qui s’étire, s’attarde, mélange volontairement les temps”.
Abou Chihabi - Upepo do Wani Baliya