La Tolérance
La Tolérance désigne la capacité à accepter ce que l'on désapprouve, c'est-à-dire ce que l'on devrait normalement refuser.
Entendez l’histoire de ces deux voisins : le 1er écoute de la musique à un niveau sonore très élevé, ce pendant que le 2nd rage, car ne peut récupérer de sa nuit de travail. C’est alors avec toute la force menaçante qu’il pouvait en mettre, que ce dernier débarque chez son voisin pour finir par découvrir l’atteinte sensorielle de celui-ci ; il est sourd profond. Compatissant, il lui fait un geste de la main, en guise d’au revoir avant de regagner son domicile. Il déménagera quelques jours plus tard. Cet exemple nous permet de monter que l'intolérance vient de la méconnaissance de l'autre, du manque de dialogue (d’échange) entre les humains, et que l’indulgence toute seule ne suffit pour faire éclore la Tolérance. Ce n’est pas de Voltaire, mais de C L Strauss que je tire cette citation: « la tolérance n’est pas une position contemplative, dispensant les indulgences à ce qui fut ou à ce qui est ; c’est une attitude dynamique, qui consiste à prévoir, à comprendre et à promouvoir ce qui veut être. »
Ne perdons pas de vue que « la Tolérance n’est pas une limite : on ne "tolère" pas, faute de mieux, ce que l’on souhaiterait cependant pouvoir éliminer. Elle est une attitude positive : la Tolérance, c’est l’ouverture de la conscience à la possibilité d’un progrès. » Chaque fois qu’on l’a vue éclore quelque part, elle annonçait la fraternité.
La tolérance est donc une valeur morale qui s’acquiert (non congénitale). Elle se battit dans le temps et dans l’espace ; elle a pour substance l’éducation et l’instruction. Helen Kellerdisait « Le meilleur aboutissement de l'éducation est la tolérance. » Elle est une vertu. Atteindre une telle vertu, appelle un travail individuel, personnel. De ce fait, elle devient un caractère distinctif du genre humain par comparaison au genre animal. Par conséquent, l’intolérance est le fruit de l’ignorance, du livrer-à-soi-même. L’intolérance n’est pas de Droit Humain. C’est ainsi qu’en refusant la tolérance à ceux qu’apparaissent comme les plus intolérants d’entre nous, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Par contre, Le tout est de savoir définir la frontière entre Tolérance et Laxisme. Car de toute évidence, la tolérance sans valeurs morales frontières est mère, d’une part, des dérives les plus abominables, de l’anarchie et d’autre part du règne du plus fort. Plus de frontière morale. Plus de digue. Plus de sentier éclairé. Plus de boulevard illuminé. La barbarie frappe à la porte. Le Barbare moderne surgit dans la chambre des compromis. La violence dogmatique. La violence de la pensée unique. La violence nombriliste. Et la fraternité vole en éclat. La Tolérance ne doit donc pas être abdication comme pourrait le laisser comprendre la conception de John Locke dans sa « Lettre sur la tolérance » quand il la définit comme étant une disposition qui consiste à : « cesser de combattre ce qu’on ne peut pas changer ». Pas plus d’ailleurs, qu’elle ne pourrait être assimilée à l’indifférence, à l’indulgence, ou à la permissivité.
Subsidiairement, la tolérance peut également avoir une déclinaison scientifique ; c’est ce que l’on retrouvera dans la notion de tolérance immunitaire (nous en dirons un mot plus loin), et de tolérance technique en génie mécanique électronique et informatique ; elle est la marge d’erreur acceptable, ou la capacité de résistance à une agression. Enfin, si vous le permettez, nous esquisserons un essai de compréhension du rapport Laïcité-Tolérance.
D'une manière didactique (si je puis prétendre à celà) je prends, ici, le parti de distinguer Tolérance individuelle et Tolérance collective (sociétale)
Tolérance individuelle : elle est une disposition morale, philosophique…propre à chacun et pour soi-même, mettant en jeu deux processus contradictoires dont l’un tend à l’expression des libertés individuelles, tandis que l’autre vise au respect d’autrui dans ses libertés, ainsi qu’au respect des règles sociétales.
« Ce n’est pas parce que vous croyez en quelque chose de tout votre être que vous avez le droit de l’imposer aux autres », disait un homme politique (F B) ; à la façon Voltaire, « crois ce que tu crois, et ce que tu ne peux croire, ou tu périras » ; ou encore, comment imaginer que l’on puisse subir ceci « Sois comme nous ; Conçois ce que nous concevons ; adopte ce que nous adoptons et c’est à ses seules conditions que la valeur homme te sera reconnue » ; alors que nous sommes tous différents dans nos modes de vie, dans nos coutumes. Ne perdons pas de vue que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses.
Empruntons ce principe universel « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais qu’on te fit », pour dire que la tolérance passe par l'écoute de l'autre et surtout par la compréhension de l’autre dans toutes ses différences. Les différences, richesse par excellence, aiguisent le sens de l’acceptation de ce qui nous est étranger, elles nous ouvrent les yeux, et permettent d’aller petit à petit dans la Lumière. La tolérance apaise le cœur pour que l’esprit travaille le chemin vers la Lumière ; elle nous permet de gravir les échelons du perfectionnement de l’Homme. A contrario, l’acceptation par faiblesse (sous la contrainte de la faiblesse) est soumission déguisée parfois avec le pardon; or tolérance n’est pas pardon ; dans le pardon, il y a quelque chose comme « s’abaisser pour sauter » ; dans tolérance, il y a quelque chose comme « sauter et encore sauter plus haut ». C’est ainsi qu’en cumulant l’expérience des différences, nous comprenons et tolérons ce qui nous est étranger. L’altérité n’est plus un repoussoir.
Une autre forme de tolérance, est la tolérance en immunologie. Notre corps n’accepte en son sein que ce qu’il reconnait comme semblable ; il n’assimile que les éléments assimilables. La tolérance immunitaire est une des tolérances les plus restrictives elle a plutôt tendance à définir l’Homme comme de nature intolérant. Pétrir l’individu de la valeur Tolérance appelle, alors, un travail personnel à contre-courant de la nature humaine, dont l’éducation et l’instruction forment la cheville ouvrière.
Tolérance collective, sociétale : elle est régie par des dispositions morales (religieuses), socioculturelles, politiques (valeurs républicaines, laïcité), juridiques…. Et parce que ces dispositions sont rythmées par l’évolution des civilisations et des mentalités, que la tolérance sociétale meut ; elle est incontestablement une valeur centrale dans la promotion des civilisations. V. Hugo dans son discours prononcé à l’assemblée en septembre 1948, au sujet de l’abolition de la peine de mort (symbole majeur de tolérance) disait : « la peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare, la civilisation règne ». Et à juste titre ! car l’homme ne peut s’arroger le droit d’enlever la vie à son semblable ; et qu’il suffit de l’enlever par erreur une fois pour que cette seule fois soit celle de trop. A l’opposé, résister aux assauts de certains courants de pensée (parentalité des homosexuels, laïcité philosophique concept belge, dépénalisation du cannabis, mais prenons en exemple l’euthanasie avec la demande de la légalisation de l’euthanasie) prendrait-il le masque de l’intolérance ? De toute évidence, non. Ne pas légaliser l’euthanasie ne nous paraît pas correspondre à de l’intolérance, quand on conçoit la valeur de la vie humaine et la mission (éthique) de la médecine d’aujourd’hui. Cette mission (éthique) viendrait-elle à changer que ce « non-il-n’y-a-pas-intolérance » d’aujourd’hui deviendrait « oui-il-y-a-intolérance» demain. Les repères dans la conception de la cellule familiale viendraient-elles à bouger que la parentalité des homosexuels ne souffrirait d’aucun obstacle. En vérité, une société qui se bâtit avec la certitude et le spasme dans ses orientations, est une société obscurantiste vouée à l’émiettement. La volonté de tolérance, sœur de la démocratie, a permis la coexistence des différentes civilisations ou cultures anciennes et contemporaines, comme l’atteste ce grand principe du peuple romain « c’est aux dieux seuls à se soucier des offenses faites aux dieux » au sujet des luttes fratricides au sein des églises. Il ne s’agit pas de croire vivre dans un havre de paix où la discorde, la controverse seraient ignorées ; bien au contraire, puisque elles seules élèvent la volonté de tolérance.
La tolérance collective s’articule donc autour de la notion de respect des formes culturelles éloignées des nôtres, autour de la notion de respect et de Liberté des autres civilisations, et ─ au sein même d’une même société ─ autour de la notion de respect des différences culturelles dans toutes ses composantes (notre modèle français en est l’exemple). C Levis Strauss ne dit pas le contraire quand il déplore ce manque de tolérance dans l’ethnocentrisme: « l’attitude la plus ancienne […] qui consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles (morales, religieuses, sociales, esthétiques) qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n’est pas de chez nous », « on ne devrait pas permettre cela »… » Autant de réactions grossières, qui éloignent donc de la tolérance collective. C’est bien connu, la tolérance n’a jamais excité de guerre civile ; l’intolérance a couvert la terre de carnages.
La tolérance dans une vision moraliste, mettrait en balance la notion absolue de bien et de mal. Elle a la force de reconnaître qu'une chose est mal, mais que la combattre engendrerait un mal encore plus grand. La tolérance peut alors conduire à une abstention volontaire dans le combat contre un mal identifié comme tel. Cette abstention n'est pas motivée par une relativisation des notions de bien et de mal, mais au contraire par la pleine conscience d'un mal qui ne peut pas être combattu sans produire un autre mal plus grave encore. L’abolition de la peine de mort en est l’illustration parfaite.
Mais alors peut-on tout tolérer ? L’incitation à la haine, le racisme, le terrorisme ? La violence faites aux plus faibles d’entre nous ? « Pour qu'un gouvernement ne soit pas en droit de punir les erreurs des hommes, il est nécessaire que ces erreurs ne soient pas des crimes; elles ne sont des crimes que quand elles troublent la société: elles troublent cette société, dès qu'elles inspirent le fanatisme; il faut donc que les hommes commencent par n'être pas fanatiques pour mériter la tolérance. » Voltaire. En effet la tolérance, nous l’avons évoqué préalablement, appelle la reconnaissance de limites qui sont fixées par le savoir vivre ensemble et si cela ne suffit pas par des lois qui donnent pour chacun le cadre de ce qui est tolérable. Paradoxalement, la tolérance ne s'arrêterait-elle pas quand la loi intervient ? En revanche, pour toute règle, il faut des marges de manœuvre ─ marges de tolérance ─ qui nous permettent de ne pas devenir intransigeant mais de vivre ensemble de manière souple et non rigide.
Permettez-nous, avant de conclure, de dire quelques mots sur Laïcité et Tolérance : il apparaît que La laïcité, comme l’abolition de la peine de mort, est l’expression par excellence de la Tolérance ; elle est compromis et émancipation ; compromis en ce qu’elle permet la cohabitation dans l’espace publique du religieux avec l’areligieux, du croyant avec le non croyant… ; elle est émancipation en ce qu’elle instruit sans esprit dogmatique à son endroit. Et parce qu’elle n’est pas une laïcité de combat, qu’elle libère. C’est parce que l’essence de la Laïcité c’est la reconnaissance de toute philosophie confessionnelle, libre dans l’espace privé, se neutralisant mutuellement dans l’espace publique, qu’elle est fille de la Tolérance. Autrement dit, la Laïcité n’est pas l’hostilité de principe envers les religions et moins encore la fermeture à toute spiritualité. La laïcité républicaine n’est pas dogmatique ; elle est transcendante d’esprit, loin au dessus de ce qui est conçu comme laïcité philosophique ou laïcité de combat. Là un autre sujet…
CC : la Tolérance c'est donc bien concevoir un écart sur les limites que l'on s'impose pour de multiples raisons (religion, éducation, politique, idéalisme, sectarisme, individualisme, communautarisme, sexisme).Elle commande au rejet du radicalisme, de l’absolue certitude et au dogmatisme. L’éducation et l’instruction la forgent. La démocratie en dépend. D’elle, les civilisations s’affirment. La tolérance individuelle est la base élémentaire de la tolérance civile, sociétale qui, elle, est une valeur fondamentale de la Laïcité et de l’Humanisme.
Darkaoui