Israël a déjà perdu la guerre des images
Israël vient peut-être de subir la
deuxième grave défaite de son Histoire après son échec lors de la deuxième guerre du Liban.
L’Etat juif est bien placé pour savoir à quel point les guerres modernes sont devenues, avant tout, des guerres d’images. Des guerres psychologiques.
Or, ce qui s’est passé dans la nuit de dimanche a définitivement mis fin au mythe enchanteur de l’enfant David confronté au géant Goliath pour promouvoir celui, totalement inversé, d’un hyper
ogre croquant des petits poucets sans défense. Que ce soit vrai ou faux, dans un cas comme dans l’autre, n’a finalement aucune importance.
Hier, les Arabes, Palestiniens compris, avaient perdu la bataille de l’honorabilité et de la légitimité médiatique. Cette fois, c’est la raison d’Etat israélienne qui, à l’issue de ce désastre, apparaît comme radicalement illégitime et quasiment déshonorée. Au point de placer ce pays qui, il y a trente ans encore, suscitait l’admiration ou la sympathie de tous les démocrates et humanistes du monde, dans un état d’isolement presque comparable à celui de la Corée du Nord.
Comment peut-on commettre une telle faute ? Comment peut-on se laisser happer par une spirale quasiment suicidaire ? L’auto-enfermement sans doute. La lente mais irrésistible construction d’un véritable bunker mental.
Or, c’est là que le livre de Régis Debray que j’évoquais hier, et contre lequel quelques imbéciles ou fanatiques se sont déchaînés, touchait, en vérité, à l’essentiel.
Que dit-il, en effet ? Que lorsqu’un pays comme Israël, dont tout homme de bien doit désirer la pérennité existentielle et espérer l’exemplarité morale, se laisse entraîner dans une dérive qui porte atteinte à tout ce qu’il représente pour l’humanité, lorsque son gouvernement conduit une politique folle qui lui fait plus de tort que toutes les propagandes arabes cumulées, alors le devoir des vrais, des authentiques « amis d’Israël », c’est de crier casse-cou. C’est de prêter leurs propres yeux à un ami qui est devenu aveugle, leur propre raison à un membre de la famille dont l’esprit s’est égaré.
Certains, encore récemment, ont essayé de la faire. En Israël même. Un peu partout dans le monde. Mais d’autres, au contraire, ont conforté le malade dans sa maladie. On flattait ses plus mauvais penchants. On soufflait sur les braises. Ce sont comportés comme ces communistes staliniens d’hier vis-à-vis de Moscou. Ceux-là portent une grande, une immense, une terrible responsabilité. Ils se sont comportés, inconsciemment, non seulement en ennemis de la paix, mais objectivement en véritables ennemis d’Israël. Le Hamas et le Hezbollah peuvent les remercier. Ils ont été, au fond, leurs meilleurs alliés.
Cela, Régis Debray l’a écrit dans son livre. Et il est inouï que des crétins ait pu tenter de disqualifier sa pensée en utilisant contre elle le soupçon terroriste d’antisémitisme.
Drame épouvantable. Mais qui peut, peut-être, espérons-le, agir comme un électrochoc. Comme une prise de conscience. Puisse, demain, tous ceux qui ont permis par leur silence, leur lâcheté, leur inconditionnalité, que cette tragédie devienne possible, se posent enfin ces questions : « comment en est-on arrivé là ? » et « comment a-t-on pu laisser les choses en arriver là ? ». « Comment, surtout, peut-on redresser la barre pour arrêter cette course à l’abîme ? »
Ce qu’on peut attendre, aujourd’hui, des véritables amis d’Israël c’est que tous ensemble ils crient : « changez de politique, choisissez la voie de la paix et vous pourrez compter sur nous ».
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Qu’est-ce qui fait que ce conflit israélo-palestinien est particulièrement épouvantable ? Cela : que tout le monde, absolument tout le monde sait, non seulement comment il doit être résolu, mais comment, en fin de compte, il sera résolu. C’est-à-dire par l’existence, à côté l’un de l’autre, de deux Etats totalement souverains et disposant des frontières sûres et reconnues qui leur reviennent à l’un et à l’autre en droit international. En conséquence, toute effusion de sang, aujourd’hui, est d’autant plus criminelle qu’elle est inutile parce que, que l’on compte 20 victimes, 50 victimes, 1000 victimes ou 10 000 victimes, de toute façon, nous savons déjà comme cela doit finir et comment cela finira.
Rédigé par Jean-François Kahn le Mardi 1 Juin 2010
Lundi 31 Mai 2010